Biographie
Angelo Boyadjian est né en Arménie turque le 10 octobre ou le 5 novembre 1917 - en effet la déclaration de naissance officielle demeure incertaine - dans le village de Djihan en Cilicie.
Il nous faut l’imaginer parmi les orangeraies aux ombres éparses sur une terre ancestrale, il joue avec son jeune ami Chavarch auprès des cueilleuses et des charrois d’agrumes odorants sous le ciel immuable de l’enfance - je tiens le propos du Dr Chavarch Akatchérian qui vit à Zamalek au Caire aujourd’hui. Ou bien, nous rapporte-t-il encore la cuisson des confitures, indissociable du souvenir maternel, de la confiture à la chaux selon la recette arménienne ; de celles dont le souvenir reste brûlant au fond du chaudron.
Cela dure jusqu’en 1923, Angelo a alors 6 ans, Pérouse sa mère et Iskander son père échappés par ruse au génocide de 1915, fuient devant les accords internationaux du traité de Lausanne qui n’accorde ni indépendance ni sécurité aux arméniens de Turquie, la république d’Arménie par ailleurs ayant été cédée aux soviétiques en 1922.
Première migration d’Angelo vers l’Egypte qui accueille les apatrides. Angelo a maintenant une sœur, Alice, et un frère, Levon. En Alexandrie Iskander, pour faire vivre sa famille tente le commerce de laitages, il y achète une vache dont le lait servira à la fabrication de yaourts, en pure perte… puis s’essaie au commerce de tapis… sans plus de succès. C’est à Zagazig en 1924 qu’il entre dans une manufacture de tabac : enfance d’Angelo à Zagazig à l’école arménienne. Iskander généreux et tendre reconstruit un monde à l’identique, en sorte que le pays de l’enfance soit sans frontière. Puis ils iront au Caire suivant une promotion professionnelle dans la Eastern Tobacco Company à Gizeh.
Au Caire Angelo y arrive à l’âge de dix ans, apprend le Français au Collège de La Salle, c’est un enfant inventif, énergique qui jeune homme brillera dans des compétitions sportives, patinage, cyclisme, il est ambitieux.
Nous sommes en 1941, les deux frères Angelo et Levon, de quatre ans son cadet, selon la tradition arménienne ouvriront un studio de photographie, toujours sous les bons auspices paternels, 18 bis rue Fouad (actuellement rue du 26 juillet) dans l’appartement familial. Iskander le généreux pourvoira au commencement de cette affaire en achetant la chambre photographique et le nécessaire à la prise de vue et au laboratoire.
Les débuts sont cocasses car ils font leur apprentissage au détriment de la clientèle qu’ils laissent inlassablement griller sous les lampes des heures durant « à des fins artistiques » bien entendu ! Et puis ce sont les contingents militaires de l’Empire britannique qui défilent sous l’objectif des deux frères durant leur permission car le monde est en guerre. Mais encore sont-ils photographes attitrés de la ENSA (Entertainment National Service Association) et la SAEU (South African Entertainment Unite). En 1947 sa notoriété est en bonne voie, les deux frères se séparent. Angelo l’inventif ne néglige pas sa promotion, et avec force publicité, c’est tout le Caire qui défile dans son nouveau studio de la rue Chérif Pacha. Multipliant les concours il organise : « Les plus belles jambes du Caire », « Le plus beau bébé », « Bathing Beauty », « Miss Egypt » mais encore travaille-t-il en collaboration avec la célèbre MGM (Metro Goldwyn Meyer) qui l’a chargé de recruter et photographier les sosies des stars qu’elle emploie. La notoriété grandissante il ouvre un deuxième studio rue Abdel Khaled Sarwat.
Vie fastueuse qu’il continuera de mener malgré son mariage avec Colette, une fort jolie Française rencontrée au cabaret Le Tabarin, danseuse dans une troupe marseillaise, et qui lui donnera cinq enfants.
Ce mondain : « pilier d’honneur de l’Auberge des Pyramides invitera les intimes du roi Farouk, Omar Sharif, Samia Gamal, Farid et Atrache » le sera jusqu’en 1960, date à laquelle les changements politiques, l’Egypte étant rendue à elle-même, contraignent Angelo à suivre sa femme et ses enfants en France. Fort de son expérience il s’enthousiasme pour sa nouvelle patrie mais c’est la déconvenue. Paris est grand Angelo y est inconnu et c’est en inconnu qu’il se présente au Bon Marché un matin de 1962 pour y ouvrir un studio sous la tutelle du grand magasin… qui fermera en 1970. Les années fastueuses sont lointaines pensez qu’un mois de salaire parisien n’égalait pas la dépense d’une nuit cairote ! Et puis ce sera le studio de l’avenue de Wagram ouvert avec le gain d’un tiercé en 1972. L’activité du studio de l’avenue de Wagram ne connaîtra pas l’essor des studios du Caire qui resteront pour Angelo le modèle d’existence… de nostalgie aussi.
Mais Angelo est un homme de chance, il est à nouveau sous les feux de la rampe : invité pour le Mois de la photo à Paris en 1986, il l’est également à Permission de minuit, de Frédéric Mitterrand, en 1987, au Printemps de la photo en Alexandrie en 1989. Les reportages se succèdent : Rappetout en 1995. En 1997 c’est la ville de Nantes qui l’invite pour le Festival des trois Continents dirigé par Claude Nori.
- En 1989 le studio avait périclité Angelo avait alors 72 ans.
En 1995 il fit son ultime voyage en Egypte, le seul depuis 1960.
Il laisse d’un monde révolu l’espérance en noir et blanc ou rehaussée de couleurs arbitraires, portraits d’une époque où toutes les femmes sont fatales… ou bien l’étaient-elles dans l’œil du Maître ? Saupoudrées des paillettes de la gloire dans une nuit éphémère… jambes de rêves surgies de la nuit qu’aucun jury posthume ne saurait départager.
Angelo s’est éteint à son domicile sise 33 de la rue Saint-Lambert le 12 décembre 2003, il avait gardé sa nationalité égyptienne…
Daniel Juré
Juillet 2006